La technique et la science
Introduction
Pendant longtemps, le Moyen Âge fut considéré comme une époque morte du point de vue du développement scientifique et du progrès technique. Aujourd’hui, on reconnaît au contraire que les quatre ou cinq siècles qui séparent l’an Mille de l’invention de l’imprimerie apportèrent de profondes transformations. Certes, il y eut peu de découvertes ou d’inventions spectaculaires, de celles qui ouvrent de nouveaux horizons à l’humanité, comme l’invention, au XVIIIe siècle, de la machine à vapeur ou de l’électricité. Les conquêtes de la technique médiévale étaient plus humbles, davantage liées aux besoins de la vie quotidienne et aux travaux familiers de la ville et des champs. Mais c’est justement pour ces raisons qu’elles se révélèrent, à la longue, d’une portée fondamentale.
Techniques agricoles
Des innovations en agriculture
Nous savons qu’après l’an Mille, l’Europe connût un formidable essor économique. Un facteur essentiel de la reprise économique fut la capacité des agriculteurs à produire plus que ce dont ils avaient besoin pour leur subsistance. Les biens excédentaires pouvaient alors être vendus ou échangés sur les places des marchés ou encore dans les grandes foires commerciales. Cet afflux de marchandises redonna vie au commerce, et, en contrecoup, à l’artisanat et à l’industrie. Certaines innovations, ou applications pratiques de découvertes faites par des savants, furent apportées à la technique de l’agriculture. Elles jouèrent un rôle peut-être décisif dans cet essor général, car elles permirent d’augmenter considérablement les rendements.
Un nouveau type de charrue
Les grandes civilisations du monde antique s’étaient développées dans un milieu chaud, où les terres étaient sèches, friables et les sols peu profonds. Le problème principal des agriculteurs était alors de maintenir le plus longtemps possible l’humidité dans la terre. Ils adoptèrent pour cela une charrue légère, sans roue, appelée araire, en réalité un simple et solide pieu égratignant à peine la terre. Il était en effet inutile de retourner la terre au soleil, elle sécherait plus vite. Avec une paire de bœufs, les paysans labouraient le champ en sillons parallèles, puis, perpendiculairement aux sillons, de manière à briser les mottes de terre. Cette manière de procéder, adaptée au climat méditerranéen, ne convenait pas du tout en Europe du Nord. Là, la terre était humide et lourde, de plus l’humidité endommageait les racines de certaines plantes. Après plusieurs tentatives, un nouveau type de charrue fut adopté, toujours en usage de nos jours. Cette charrue, plus lourde que l’araire était montée sur roues. Devant le soc, un long couteau vertical en fer, appelé coutre, permettait de pratiquer une première ouverture dans un sol lourd. Le soc, recouvert de fer, retournait les mottes. Il se terminait par un versoir qui permettait de rejeter la terre remuée de part et d’autre du sillon. De cette façon se formait, entre deux sillons parallèles, un petit monticule de terre, qui se révéla très utile. Quand la saison était sèche, le blé poussait dans le creux des sillons humides. Au contraire, si la saison était trop humide, il poussait sur le monticule débarrassé de l’humidité excessive.
Des attelages plus efficaces
Depuis, la domestication du cheval, les hommes savaient qu’il était rapide et plus fort que le bœuf. On n’avait pourtant que rarement recours à cet animal pour les travaux des champs, car le harnais n’était pas adapté aux lourdes tractions. Le harnachement traditionnel consistait en une bricole lâche portée sur le cou de l’animal. Aussi, plus le cheval tirait, plus la bricole gênait sa respiration. Au début du Moyen Âge, on inventa le harnachement à collier rigide. Ce collier rembourré s’appuyait sur les épaules du cheval et n’entravait pas sa respiration. On améliora aussi le rendement des attelages en modifiant la position des animaux de trait. Dans l’Antiquité, deux, quatre, parfois six chevaux étaient attelés côte à côte devant un char. La force de ces chevaux était mal concentrée, et en partie perdue. Au Moyen Âge, on les attelaient à la file, ou par couples, les chevaux exerçaient ainsi une force bien supérieure. Sous les climats chauds et secs, les sabots des chevaux s’usaient relativement peu. On les protégeait en les munissant de bandages appelés hipposandales. En revanche, sous les climats tempérés et lourds du centre de l’Europe, on renforçait les sabots grâce à des fers cloués dessous. Le ferrage fut une des innovations qui contribuèrent à faire du cheval l’auxiliaire indispensable de l’Homme. Par ailleurs, la selle arquée améliora la stabilité du cavalier, surtout dans l’axe longitudinale (avant - arrière), elle accrut sa capacité de manœuvre notamment dans les affrontements armés. Les Barbares venus d’Orient, apportèrent l’étrier dès le IXe siècle. Reliés à la selle, les étriers constituaient un solide point d’appui, renforçant la stabilité latérale. Le guerrier pouvait portait des lances et se dresser sur les étriers lors d’un combat.
Le moulin
La redécouverte du moulin à eau
Le monde industrialisé actuel est aux prises avec un grave problème : celui de l’énergie. Il y a encore quelques années, le pétrole semblait suffisant à satisfaire des besoins en augmentation constante. On a depuis pris conscience de l’épuisement des ressources. Un problème analogue se posa au cours du XIe siècle. En effet, l’essentiel de l’énergie disposé par l’Homme était fourni par l’animal. La relance de l’activité économique créa un besoin urgent en énergies nouvelles. Dans l’Antiquité, les grands empires disposaient d’une masse énorme d’esclaves, de ce fait la question de l’énergie ne se posa jamais de façon cruciale. Mais le déclin de l’esclavage dans le monde médiéval, poussa les hommes à redécouvrir et répandre une invention très ancienne : le moulin à eau. On pense que les premiers moulins à eau étaient connus, dans les pays d’Orient, en Grèce et dans l’Empire romain dès le Ier siècle avant J-C. Vers le IXe siècle, les moulins se répandirent rapidement en France. Le principe du moulin à eau est relativement simple. La force de l’eau qui s’écoule ou tombe du haut met en mouvement une grande roue. Des engrenages transmettent ce mouvement à une meule de pierre qui, en se mouvant sur une pierre fixe, broie les céréales jusqu’à en faire de la farine. A partir de ce principe de base, d’ingénieux dispositifs permirent d’actionner des mécanismes beaucoup plus complexes.
Les applications de la roue hydraulique | |
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Un moyeu de la roue hydraulique relié à un tourniquet pourvu de seaux, permettait de faire remonter à la surface l’eau des puits ou mines inondées. Ainsi, on pouvait irriguer des terrains secs improductifs et de remettre en activité des mines inexploitées. | |
Ceci est une application beaucoup plus compliquée du système hydraulique. Un ouvrier fabrique du fil de fer. Le métal grossièrement travaillé est passé en force dans de petits trous. Assis sur une balançoire, l’ouvrier saisit le fil qui sort du trou avec de grosses pinces. La balançoire est reliée à une manivelle actionnée par la roue hydraulique, l’ouvrier est porté vers l’avant puis vers l’arrière selon l’axe de la manivelle. Lors du mouvement arrière, il lui suffit de tenir le fil avec les pinces pour le tirer de force. Cet exemple témoigne d’un progrès technique important, puisqu’il y a transformation du mouvement circulaire de la roue en un mouvement de va-et-vient. | |
Un autre progrès décisif pour l’utilisation artisanale et industrielle de l’énergie hydraulique intervint lorsqu’on inventa une façon de transformer le mouvement circulaire de la roue en un mouvement rectiligne dans le sens vertical. Il s’agit de l’arbre à cames : des coins en saillie sur l’arbre relié à la roue, en tournant régulièrement, font monter et descendre l’outil qui accomplit le travail.
Ces utilisations industrielles expliquent pourquoi le moulin fut longtemps synonyme de fabrique et l’est encore dans la langue anglaise (mill). |
Le moulin du meunier
- Le moulin seigneurial : Le plus ancien et le plus répandu des moulins était celui du meunier, où les paysans venaient faire moudre le blé et d’autres céréales. Les seigneurs obligeait leurs serfs à moudre le grain, contre paiement, dans le moulin seigneurial (ou moulin banal), et punirent ceux qui utilisaient les meules à main. L’usage du moulin se répandit et la maison du meunier devint un des principaux lieux de rencontre de la vie villageoise.
- Le moulin à vent : A cette époque, les moulins du meunier sont encore hydrauliques. Mais le Moyen Âge eut recours à une autre source d’énergie : le vent. L’utilisation du moulin à vent s’imposa dans les milieux arides et battues par les vents. Il est connu depuis fort longtemps, notamment en Asie. Le principe de son fonctionnement et ses applications sont pratiquement les mêmes que ceux du moulin à eau. La force motrice est produite par le vent, qui fait tourner des ailes reliées à l’arbre central. L’avancée technique la plus importante se produisit lorsqu’on plaça la partie supérieure du moulin sur une plate-forme tournante. De cette façon on orientait les ailes en fonction de la direction du vent.
On voit, ci-contre, les différentes techniques utilisées en agriculture, la herse, la charrue, l’utilisation du cheval, et au fond, on aperçoit un moulin à vent.
Autres domaines
Progrès techniques dans la navigation
Le grand commerce médiéval bénéficia des progrès réalisés dans la construction des navires et dans l’apparition de nouveaux instruments de navigation. L’innovation la plus importante fut la diffusion de la boussole. Son origine reste incertaine : si les Chinois la connaissaient depuis longtemps, ce sont peut-être les Arabes qui l’introduisirent en Europe, à moins qu’elle n’ait été redécouverte par des marins ou des astronomes occidentaux. L’aiguille magnétique qui flottait simplement, au début, sur l’eau ou sur l’huile fut, par la suite, fixée sur un pivot permettant de tourner la boussole dans toutes les directions. Les marins pouvaient désormais affronter la haute mer sans craindre de se tromper de cap. Outre la boussole, on commença à utiliser l’astrolabe (instrument arabe), qui permettait de mesurer la hauteur des astres au-dessus de l’horizon. En calculant exactement le temps passé à naviguer, on pouvait déterminer avec précision la distance que le navire avait parcourue vers le nord ou le sud (latitude), vers l’est ou l’ouest (longitude). Profitant de ces améliorations, les Génois furent les premiers à la fin du XIIIe siècle, à relier par voie maritime l’Italie aux Flandre et à l’Angleterre. A cette époque le navire type était la galéasse. Cette galère se déplaçait principalement à la voile. L’apparition de la voile latine triangulaire, qui pouvait être orientée dans toutes les directions permettait au navire de naviguer par vent de travers et même contre le vent. Le gouvernail de poupe, fixé par des charnières au milieu du pont arrière du navire (gouvernail d’étambot), remplaça les rames latérales, longues et pesantes, les manoeuvres en furent améliorées. La vergue (support en croix de la voile) tournante permit d’orienter au vent de côté les voiles carrées. Sur certains voiliers, un second mât à l’avant commençait à faire son apparition.
Pour naviguer, les marins italiens, français ou catalans utilisaient la galéasse. La longueur du navire faisait trois fois sa largeur, et celle-ci deux fois sa hauteur, il s’agit de la règle catalane (tres dos y as, « trois, deux, un »). En mer Baltique, on avait plutôt recours à la hourque, dont la coque était faîte de planches superposées et non jointes.
Des progrès en optique
Grâce à la redécouverte d’ouvrages de l’Antiquité, ou à la découverte des écrits des savants arabes, certaines sciences connurent un grand essor. Il en fut ainsi de l’optique. Une de ses applications allait changer la vie de beaucoup de personnes : les lunettes. Les premières lunettes sont appelées besicles, dérivant de béryl, la pierre précieuse transparente qu’on utilisait alors pour les verres. Elles n’avaient pas de branches, mais les montures des verres pivotaient et pinçaient le nez pour se fixer. Il est probable que l’usage des lentilles concaves et convexes, qui augmentaient les possibilités de l’œil humain, soit beaucoup plus ancien. L’empereur Néron n’employait-il pas des pierres précieuses adroitement taillées comme loupes ? Les progrès en optique s’appliquèrent également dans la navigation, et, plus tard, dans l’observation du ciel.
Les premières images « imprimées »
Depuis toujours, la culture était l’affaire de quelques privilégiés. Malgré les efforts de l’Église et de souverains éclairés, l’apprentissage de la lecture et de l’écriture était réservé aux classes favorisées. Il était entendu que les autres, les paysans, les artisans, n’en avaient nul besoin. De plus, le coût très élevé des manuscrits et leur nombre restreint limitaient la diffusion de l’instruction. Deux inventions allaient commencer à changer cet état de fait. La technique de la gravure sur bois d’abord, ou xylographie, un procédé déjà connu en Chine : une image entaillée dans le bois et encrée laissait une empreint nette sur une feuille. Et l’apparition du papier, au XIVe siècle, permit le remplacement des parchemins fut une avancée encore plus importante. C’est ainsi que des images dessinées illustrant des scènes de la Bible furent répandues partout : on les appela les « Bible des pauvres », ceux qui, ne sachant pas lire, se contentaient de regarder les illustrations.
La naissance de la chimie
Les alchimistes du Moyen Âge cherchaient la substance, ou pierre philosophale, qui aurait changé en or n’importe quel matériau ordinaire. Nous savons aujourd’hui que cela est possible en théorie, grâce à la physique atomique, mais impossible en pratique. Les alchimistes médiévaux effectuèrent cependant des milliers d’expériences, dans un but souvent plus mystique, que scientifique, avec les matières les plus disparates, enregistrant ensuite soigneusement les résultats de leurs observations. S’ils ne découvrirent pas la pierre philosophale, ils purent connaître, par l’expérience, les réactions de presque toutes les substances et jetèrent ainsi les bases de la chimie.
La légende veut que Nicolas Flamel ait non seulement découvert la formule permettant de transformer le plomb en or, mais également l’élixir de vie éternelle. Nicolas Flamel aurait reconstitué la pierre philosophale à partir des symboles contenus dans un livre d’origine divine : “Abraham le Juif”. L’alchimiste avait acquis une grande fortune, et, construit plusieurs chapelles et hôpitaux. En 1712, un voyageur rencontre un derviche en Asie Mineure qui lui affirme que Nicolas Flamel et sa femme sont toujours vivants. Certains pensent que Richelieu aurait été le dernier propriétaire du livre.
L’héritage extérieur
- La poudre à canon : Les Chinois, inventeurs de la poudre à canon, l’utilisaient pour tirer des feux d’artifice lors de leurs fêtes, ou pour lancer des messages lumineux, la nuit. On ignore, où et comment la poudre a été introduite et « réinventée » en Europe. Lorsque l’usage s’en répandit au XIVe siècle, son expérimentation se limita aux champs de bataille. Ainsi naquirent les premiers canons, qui projetaient, avec une précision de tir très approximative, des boulets de pierre sur les armées ennemis ou contre les épais murs des châteaux forts qui devinrent obsolète.
- L’invention du zéro : Les sciences mathématiques connurent, elles aussi, une remarquable évolution au Moyen Âge. C’est peut-être dans ces domaines que les progrès furent les plus significatifs. Parmi les nombreuses innovations, on peut rappeler l’introduction des chiffres arabes, ceux-là même que nous utilisons : en réalité, il s’agissait de chiffres indiens transmis aux européens par les Arabes. Un chiffre qui ne compte pour rien, le zéro, a une importance plus grande encore, et augmenta considérablement les possibilités de numération. La comptabilité des marchands s’améliora et devint plus précise.
Les premières industries
- La première industrie textile : L’industrie textile fut à la base de l’énorme développement que connaîtra l’Europe quelques siècles plus tard. L’art de transformer la laine des moutons ou la tige du lin en fibres, de les filer pour obtenir des fils continus et de les tisser pour en faire une étoffe est une activité qui suppose une technologie élémentaire. C’est très probablement pour cette raison que ce travail fut le premier à être presque entièrement « industrialisé ». Les mouvements rotatoires, rectilignes ou alternés qui étaient imprimés à la machine par la roue du moulin à eau convenaient bien au travail à répétition de la filature.
- La naissance des industries : Après l’an Mille, la situation était, schématiquement, la suivante : grâce aux changements des conditions politiques et sociales, ainsi qu’aux innovations techniques, l’agriculture produisait, outre le nécessaire, des excédents, c’est-à-dire, une richesse qui pouvait être échangée ou vendue. La diffusion des moulins permettait de disposer d’une énergie suffisante pour actionner des machines accomplissant une série de travaux. Les techniques de travail des métaux furent ainsi renouvelées, grâce aux quantités d’énergie supplémentaires fournies par les moulins. Une roue hydraulique et un arbre à cames, par exemple, pouvaient actionner facilement de gigantesques soufflets dans une fonderie. L’air envoyé sur le feu augmentait la température à des degrés de fusion, en grande quantité et à des coups limités. Les activités métallurgiques connurent alors un véritable essor.
Sources et liens
- Encyclopédie Tout l'Univers (Hachette)